Promotion de la santé des personnes âgées

Une influenceuse centenaire s’engage pour la promotion de l’activité physique chez les personnes âgées

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Pourquoi les centenaires ont-elles/ils une si grande satisfaction générale? Pourquoi sont-elles/ils majoritairement plus optimistes que le groupe des 80-95 ans? «Les études sur les centenaires» donnent des éléments de réponse. Madame Kleiber, qui anime un cours de gymnastique dans un home à l’âge de cent ans, ouvre la voie. Dans une interview, elle nous raconte sa passion pour la promotion de l'activité physique, qu’elle transmet à ses contemporain-e-s.
27.06.2023, 07:38

Un article de Claudia Kessler, PHS Public Health Services


Ceci est un récit issu de ma vie privée, d’une rencontre merveilleuse et émouvante avec une femme d’un grand âge. Mon père vit dans un EMS depuis deux mois. Cet EMS propose aux personnes âgées également un «lit de vacances» temporaire pour soulager les proches-aidant-e-s ou en leur absence. Les responsables organisent des activités régulières et adaptées aux possibilités des résident-e-s, telles que préparer un gâteau ensemble, des lectures ou des balades découverte dans le village.

En avril, une ambiance particulière habitait les lieux. Lors de mes visites, j’ai observé un sourire espiègle et satisfait sur les lèvres des résident-e-s et du personnel. La gymnastique matinale était animée par une «paire» – une résidente. Fait surprenant: l'animatrice, Madame Kleiber, fêtera son centième anniversaire en juin, au moment de la publication de cet article dans la newsletter. Mon père de 92 ans et les autres résident-e-s s’émerveillent de cette femme et de cette expérience inattendue, qui leur procurent chaque jour une grande portion de joie et de sentiment d’auto-efficacité.

J’ai pu participer à l’une des sessions et j’ai été impressionnée par le professionnalisme: on remarque tout de suite que Madame Kleiber était enseignante de gymnastique de métier. Son approche: au départ, tou-te-s les participant-e-s se placent en cercle et les exercices commencent en position assise sur une chaise. Le cours commence par des exercices pour les pieds et les jambes, puis c’est au tour des bras, des mains et du tronc. Chacun-e se place ensuite debout derrière la chaise en se tenant au dossier et fait divers exercices, tels que des génuflexions. Le tout dure trente minutes, sans pause. Les participant-e-s sont très concentré-e-s. Madame Kleiber explique toujours à quoi sert un exercice et diffuse des messages de motivation, tels que «vous faites ça très bien!» ou «faites simplement ce que vous pouvez».

J’ai naturellement voulu en apprendre plus sur Madame Kleiber. Elle s’est tout de suite déclarée ouverte à un échange et nous avons eu beaucoup de plaisir mutuel – deux professionnelles issues de générations différentes.
 

Claudia Kessler (CK): Madame Kleiber, pouvez-vous me donner un bref aperçu de votre vie? D’où venez-vous et à quoi ressemble votre vie aujourd’hui?

Madame Kleiber: J’ai vécu toute ma vie dans le Leimental près de Bâle. Mon père était moniteur fédéral de gymnastique artistique. C’est de lui que j’ai hérité ma passion pour l’activité physique.

Mon vœu le plus cher était de devenir enseignante de gymnastique. Mais ma famille n’avait pas les moyens de financer ma formation, en tant que fille – à l’époque, le genre jouait un rôle prépondérant dans ces questions. J’ai donc d’abord dû faire un apprentissage de vendeuse. Mais à 17 ans déjà je prenais mes premiers cours en emploi et, en l’espace de cinq ans environ, j’ai ainsi progressé petit à petit jusqu’à l’obtention du diplôme de l'enseignante de gymnastique. L’un des temps forts a été un cours à Macolin où, plus tard, seuls les «grands» sportifs étaient les bienvenus.  

J’ai ensuite introduit un groupe de filles et la gymnastique pour les seniors dans ma commune. Au home, j’animais six cours pour environ 120 femmes. À côté, je donnais également des cours de natation et de danse. J’étais particulièrement éprise de danses folkloriques – surtout de celles d’Israël. Je n’ai jamais été à l’aise dans un bureau et ai toujours beaucoup aimé le mouvement. Le travail dans notre grand jardin en faisait également partie. À 63 j’ai raccroché mon tablier. Je trouvais que c’était à quelqu’un de plus jeune de reprendre le flambeau.

Depuis le décès de mon mari il y a dix ans, je vis seule dans notre maison. Je me fais livrer le repas de midi par un service de livraison à domicile. Mais je prépare moi-même le petit-déjeuner et le repas du soir. Mon fils et ma belle-fille s’occupent des courses. J’ai une aide pour le ménage et mes voisins me donnent parfois également un coup de main. Bien que je me déplace avec un déambulateur, je n’ai pas encore besoin de soins à domicile. Je fais mes exercice physiques tous les matins comme avant – le mieux possible. Avec mon déambulateur et en compagnie, je suis encore capable de me balader pendant une demi-heure. Je suis actuellement résidente temporaire ici, pendant que mon fils est en vacances.

CK: Quels objectifs souhaitez-vous atteindre avec les cours matinaux pour vos colocataires?

Madame Kleiber: J’aimerais que toutes et tous puissent ressentir à nouveau positivement leur corps – indépendamment de l’âge et des contraintes. Au début, certaines personnes avaient des difficultés avec les exercices. Mais ça allait mieux déjà après quelques jours. Je vois la joie des participantes et des participants lorsqu’ils parviennent à faire quelque chose qui leur était impossible auparavant. Une femme m’a dit: «ça fait tellement de bien. Je ne savais pas que j’étais encore capable de faire de la gymnastique!». Je vois déjà de grands progrès dans le groupe. Les participantes et les participants se tiennent différemment sur leur chaise qu’au début. Leur posture est plus droite, attentive.

CK: Lorsque vous passez en revue vos plus de 85 ans dans la promotion de l’activité physique, quels sont les grands changements que vous percevez?

Madame Kleiber: Je trouve très dommage que les danses folkloriques aient disparu. Elles me plaisaient beaucoup, notamment à cause du facteur social. De nos jours, le sport est principalement pratiqué sur des machines et les jeunes fréquentent moins les associations. Les associations offrent cependant des activités plus diversifiées, et la possibilité de s’entraîner avec d’autres, d’allier mouvement et convivialité. Je trouve que c’est important.   

CK: Pour terminer, parlons des facteurs de succès de votre cours de groupe. Le plus important est probablement votre fonction de modèle. J’imagine qu’une enseignante de gymnastique plus jeune n’aurait jamais généré un tel engouement pour l’activité physique auprès des participantes et participants du quatrième âge. Quels sont vos autres formules secrètes pour faire bouger vos participantes et vos participants?

Madame Kleiber: Oui vous avez raison. Les gens se disent: «si elle y parvient à cet âge, je peux le faire aussi!». C’est la raison pour laquelle je me suis adressée à la direction du service pour dire que je pouvais animer la gymnastique matinale. Ma proposition a été accueillie avec enthousiasme. Je trouve que c’est dommage lorsque les personnes âgées ne font que rester assises. J’aimerais leur montrer ce dont elles, ainsi que leur corps, sont encore capables. Chaque personne est capable d’apprendre tout au long de sa vie. Mon enthousiasme pour le mouvement est contagieux. J’ai déjà réussi à remettre en mouvement des personnes qui n’avaient plus confiance en elles et qui n’avaient plus envie. Je les invite tout d’abord à venir observer. Je ne bouscule personne, mais adapte les exercices aux possibilités des gens. La chaise rassure les personnes et si l’envie les prend, elles peuvent participer. Le groupe donne l’impulsion. Il faut que ce soit ludique. Et j’applaudis chaque petit progrès.

CK: Je vous remercie chaleureusement pour cet échange passionnant, Madame Kleiber. Votre exemple montre que les personnes âgées peuvent apporter une contribution précieuse à la communauté, malgré leurs fragilités. Les compétences de vie favorables à la santé ne sont pas dépendantes de l’âge – en particulier lorsque l’on a mené une vie active et en mouvement. Il s’agit certainement là de la meilleure préparation à la vieillesse. Votre histoire donne également le courage aux proches-aidants de se «déconnecter» de temps en temps, de prendre du temps pour soi et de laisser les «pros» s’occuper de leur proche.

Je vous souhaite de tout cœur une bonne santé et un beau centième anniversaire!


L’entretien a été mené par Claudia Kessler de PHS Public Health Services en avril 2023, sur mandat de Promotion Santé Suisse. Contact: kessler@public-health-services.ch