Bien manger à petit prix, même en étant senior – entretien avec Laurence Margot

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Le projet Bien manger à petit prix consacré aux seniors est dispensé par la Fédération romande des consommateurs (FRC). Dans cet article, Laurence Margot, responsable du projet pour l’antenne cantonale vaudoise, parle des réussites, des défis et des leçons acquises. Actuellement, une alimentation saine et économique répond à une priorité chez beaucoup de personnes âgées.
12.12.2022, 12:59

Claudia Kessler (CK) et Esther Oester (EO): Depuis 2009, la Fédération romande des consommateurs (FRC) a développé les cours Bien manger à petit prix. Ce projet a été adapté au groupe cible des personnes âgées (voir l’encadré en fin d’article avec une brève description). Qu’y a-t-il de nouveau dans ce projet dans le canton de Vaud?

Laurence Margot (LM): La FRC Vaud s’est effectivement engagée depuis plusieurs années à informer et sensibiliser la population à travers le projet Bien manger à petit prix. Depuis 2020, elle a une offre ciblant spécifiquement les personnes de 65 ans et plus sous forme d’ateliers interactifs. L’objectif est de donner des conseils pratiques pour manger équilibrée, avec plaisir, tout en ménageant son budget. Les autres antennes cantonales de la FRC dispensent également des cours/ateliers similaires.

Nous avons, bien sûr, adapté le contenu et les thèmes des ateliers aux besoins de ce groupe cible. Si nous insistions sur les cinq portions de légumes et fruits pour les publics plus jeunes, la priorité est mise sur la sensibilisation et l’importance d’une alimentation riche en protéines chez les personnes âgées. Parmi elles, certaines développent un dégoût de la viande. Nous leur présentons ainsi des sources alternatives de protéines, comme les légumineuses.

Afin d’atteindre le public cible, des partenariats ont été activés ou initiés avec Pro Senectute Vaud et d’autres associations de seniors (Université populaire pour les personnes âgées, Connaissance 3, le Mouvement des ainés, les Centres de loisirs locaux) ainsi que certaines communes.

Claudia Kessler (CK) et Esther Oester (EO): Donc pensons à une personne de 75 ans vivant dans le canton de Vaud. Comment peut-elle être informée? Que pouvez-vous lui proposer, très concrètement?

Laurence Margot (LM): Le partenariat avec des acteurs-clés actifs auprès des seniors facilite la communication et favorise le bouche-à-oreille: par exemple Pro Senectute Vaud annonce l’atelier avec tous les détails pratiques via des flyers. Lors de l’atelier, les participant·e·s vont être sensibilisé·e·s aux priorités nutritionnelles des personnes de plus de 65 ans, à la manière d’acheter des produits respectant le budget, la santé et la durabilité ainsi qu’au décryptage des étiquettes. Le focus sera mis sur la pratique, comme l’analyse de l’assiette optimale à l’aide de la pyramide alimentaire; la comparaison des étiquettes de deux repas pré-cuisinés pour choisir le plus adapté et, pour joindre l’utile à l’agréable, la dégustation d’une salade de lentilles[1]. En revanche, l’atelier ne vise pas à leur apprendre à cuisiner.

En fin de session, la personne repart avec Vive les protéines!, un petit fascicule de recettes faciles à cuisiner (lien en fin d’article), elle a pu échanger avec les autres participant·e·s et découvert les possibilités de repas pour seniors de la région. Les animateur·trice·s parlent aussi de l’importance des protéines.

Claudia Kessler (CK) et Esther Oester (EO): Comment associez-vous, dans ces ateliers, les aspects alimentation saine et équilibrée avec les soucis de budget de personnes âgées vivant avec peu de moyens?

Laurence Margot (LM): Notamment en renforçant les compétences de lecture des étiquettes. Les participant·e·s apprennent à mieux comprendre les informations données sur les étiquettes des articles (prix au kilo, allégations nutritionnelles trompeuses, ingrédients et origine effective). Nous insistons sur le fait que souvent ce n’est pas le produit le plus cher qui est le meilleur au goût et pour la santé. Il faut plutôt se demander s’il agit d’une denrée brute ou transformée de manière industrielle (souvent avec beaucoup de sel, de sucre et des graisses de mauvaise qualité). Nous encourageons une lecture critique des étiquettes.

C’est par l’information et la discussion que les participant·e·s sont incité·e·s à faire des choix éclairés. Nous recommandons une variété de sources protéiques (moins de viande, plus de légumineuses) – dans un souci d’économie mais également de durabilité (changement climatique). Et encore la question des portions qui permet de diminuer le gaspillage alimentaire, et donc influence positivement le budget des seniors.

Claudia Kessler (CK) et Esther Oester (EO): Depuis le début de ce projet, combien d’ateliers ont eu lieu, avec combien de participant·e·s impliqué·e·s ?

Laurence Margot (LM): Dû à la pandémie du Covid, le projet a démarré difficilement en 2020. Les personnes âgées étant particulièrement à risque, nous avons suspendu les ateliers jusqu’en avril 2021. A la levée des mesures sanitaires strictes, nous avons d’abord dû redonner envie aux personnes visées d’assister à des cours en groupe. L’obligation vaccinale comme condition préalable a également freiné la participation de certains.

Malgré ce report, nous sommes heureux·se·s d’avoir pu rattraper le retard. En 2021, nous avons pu réunir plus de 60 personnes dans le cadre de 9 ateliers. Elles ont témoigné de leur grand intérêt à nos propositions. Ce succès s’est répété et nous a permis de toucher plus de monde en 2022 (8 ateliers pour une participation de 75 personnes; 2 ateliers restent à faire d’ici la fin de l’année). La plupart des gens ont entre 65 et 85 ans. Le taux de participation des hommes reste par contre faible, avec environ un homme par atelier. Nous avons pu réaliser cela avec un budget modeste, inférieur à 50 000 francs pour toute la durée du projet.

Claudia Kessler (CK) et Esther Oester (EO): Une année seulement après le démarrage réel des activités, il est tôt pour communiquer des informations concernant les impacts. Malgré tout, en plus des premiers chiffres, quelles sont vos observations? Quelles leçons en avez-vous tirées?

Laurence Margot (LM): A la fin de chaque cours, un questionnaire nous permet de recueillir les intentions des participant·e·s quant à la mise en pratique des informations reçues. Vouloir changer ses habitudes est une remarque qui ressort souvent, tout particulièrement en ce qui concerne la diversification des sources protéiques et la lecture plus attentive des étiquettes.

Aujourd’hui, nous avons recueilli plusieurs éléments importants, qui vont nous permettre d’améliorer notre offre:

  • Bonne atteinte du public cible via l’implication des multiplicateur·trice·s (tables d’hôte, proches-aidant·e·s, animateur·trice·s des groupes). A travers la sensibilisation de ces partenaires multiplicateurs, nous arrivons à atteindre aussi indirectement les personnes les plus âgées, qui ne participent pas à nos cours.
  • Fort intérêt à favoriser des synergies entre les acteur·trice·s actif·ve·s auprès du public cible (collaboration avec Pro Senectute Vaud, Connaissance 3, communes etc.); cette collaboration permet de recruter des participant·e·s.
  • Le projet permet également de lutter contre la solitude. Un atelier en groupe augmente les interactions sociales. Certain·e·s participant·e·s se sont retrouvé·e·s par la suite pour manger ensemble (les personnes sont invitées à échanger leurs numéros de téléphone en fin d’atelier).
  • Les ateliers offerts par la FRC Vaud intéressent surtout les femmes. Pourtant, l’exemple de la ville de Neuchâtel montre que grâce à une large information, il est possible de proposer des cours de cuisine destinés aux hommes seuls. Ceux-ci sont intéressés par une offre de cours adaptée à leurs besoins spécifiques (comment choisir les menus pré-cuisinés? Avec quoi les compléter? Que choisir au restaurant?, etc.).
  • Une grande question demeure, comme toujours dans la promotion de la santé: comment atteindre les personnes les plus vulnérables, celles qui en ont le plus besoin?

Claudia Kessler (CK) et Esther Oester (EO): Merci pour cet aperçu très impressionnant du projet Bien manger à petit prix consacré aux seniors. Nous vous souhaitons, ainsi qu’à votre équipe, beaucoup de succès pour qu’un jour toute la population de votre canton et au-delà puisse avoir accès à ces ateliers. Quelle meilleure façon de terminer que de laisser la parole aux participant·e·s, qui sont toujours prêt·e·s à apprendre de nouvelles choses à leur âge en matière d’alimentation.

«Il y a des idées à retenir. Mais il faut s’armer de courage, car seul, on a tendance à toujours faire les mêmes plats.[2]»

Les personnes qui ont réalisé cet entretien:

Laurence Margot, est responsable du projet Bien manger à petit prix consacré aux seniors pour la FRC Vaud. Elle est diététicienne de profession (BSc, MAS-UNIL,) et dispose d’une longue expérience dans le domaine de la promotion de la santé et de la prévention. Elle est membre du comité de la FRC Vaud et de la Commission alimentation de l’association. Elle s’engage au niveau cantonal avec de nombreux partenaires pour une alimentation équilibrée et savoureuse chez les plus de 65 ans.

Claudia Kessler et Esther Oester (collaboratrices de PHS Public Health Services) ont mené et édité l’interview en novembre 2022 pour le compte de Promotion Santé Suisse.

 


 

[1] extrait d’un article paru dans le magazine «FRC Mieux choisir » octobre/novembre 2021 (voir aussi les liens vers plus d’information)

[2] extrait d’un article paru dans FRC Mieux choisir (octobre-novembre 2021), le magazine de la FRC (voir aussi les liens vers plus d’information)

Quelques éléments clefs du projet «Bien manger à petit prix»


Objectifs et offre


Le projet Bien manger à petit prix (BMPP) consacré aux seniors vise à proposer des cours/ateliers aux plus de 65 ans. L’objectif est de donner des conseils pratiques pour manger équilibré, avec plaisir, tout en ménageant son budget. Ces cours/ateliers sont pris en charge par des animateur·trice·s expérimenté·e·s, spécifiquement formé·e·s à cette thématique. La FRC dispense par ailleurs d’autres modules de cours/ateliers BMPP, et ce par le biais de ses différentes antennes cantonales, auprès de publics cibles variées.


Organisations


Fédération romande des consommateurs, FRC Vaud, en partenariat avec les organisations et associations de personnes âgées et les communes.


Durée du projet


01.05.2020 – 31.12.2023


Contenu thématique du projet


  • Bien manger tout au long de la journée
  • Comprendre les étiquettes alimentaires
  • Apport en protéines de bonne qualité
  • Alimentation et budget
  • Gaspillage alimentaire
  • Hydratation
  • Achats de produits locaux de saison

Financement


FRC, partenaires institutionnels, 50% de cofinancement par Promotion Santé Suisse